Isaac Bashevis Singer

« Mais, au fond de son âme, il demeura ce qu’il avait toujours été : un hédoniste, un fataliste, dénué de toute illusion sur lui-même ainsi que sur l’humanité, et dont la vie s’était toujours jouée sur les frontières du suicide. Les religions mentaient. La philosophie avait fait fiasco sitôt née. Les oiseuses promesses du progrès n’étaient qu’un crachat jeté au visage des martyrs de tous les temps. Si la durée n’est qu’une forme de perception ou d’une catégorie de l’entendement, hier n’est pas moins présent qu’aujourd’hui. Caïn continue d’assassiner Abel, Nabuchodonosor n’a pas fini d’arracher les yeux de Sédécias et de massacrer ses fils. Le pogrom de Kichinev n’aura jamais de fin, et dans les fours d’Auschwitz les Juifs brûleront jusqu’à la consommation des siècles. A ceux qui n’ont pas le courage de mettre fin à leur propre existence, une seule issue est offerte : abêtir leur conscience, étouffer leur mémoire, éteindre en eux la dernière lueur d’espérance. »

Isaac Bashevis Singer (Prix Nobel), Ennemies, une histoire d’amour (Stock, La Bibliothèque Cosmopolite, p. 38-39)