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- Les Chroniques de Faust -
6 décembre 2005

François Weyergans

INTERVIEW DE FRANCOIS WEYERGANS
Weyergans, sain et sauf

Rassurez-vous, François Weyergans va bien. Un peu secoué, sans doute, par le succès vertigineux de 'Trois jours chez ma mère', le Goncourt, la parution de 'Salomé', son premier roman, et le gros "boum" de la chaudière du bar qui a volé en miette et interrompu l'interview. Mais heureusement, son sens de l'humour est intact.

Il a beau avoir remporté le prix Goncourt avec 'Trois jours chez ma mère', François Weyergans, quand il est témoin oculaire de l'explosion du sous-sol d'un bar, doit décliner son identité. Pas commode, la policière ne se laisse pas attendrir pour si peu. Pourtant, il l'a échappé belle, et nous aussi. On a pu récupérer le dictaphone à temps. Voilà ce qui s'est raconté avant l'arrivée des pompiers.

Vous êtes content en ce moment ?

Oui. Il vaut mieux avoir du succès que ne pas en avoir. Mais ça demande beaucoup de précision et de concentration. Il y a un contraste amusant entre l'écriture et la publication. Il y a même un fossé. Le contraste, c'est que techniquement on doit être seul pour écrire. Et donc je vois très peu de gens. Et tout à coup il faut sortir. Il faut faire plein de choses. J'ai été à Toulouse, Strasbourg, je vais au Havre demain.

C'est vrai qu'on vous voit dans tous les journaux. Et les articles que l'on peut lire maintenant ressemblent beaucoup à ce qu'on lisait à la sortie de 'Franz et François' : on dit de vous que vous êtes drôle, intelligent, élégant, c'est vrai ?

Dès qu'on parle de vous ce n'est pas de vous qu'on parle. Souvent j'accepte des rendez-vous à des heures qui ne me conviennent pas, j'arrive, je sors du lit. Alors ça donne l'image pittoresque qui plaît. J'ai lu une fois : "Il est là, avec un sac de voyage informe", et ça m'a amusé parce que c'était un sac Prada qui coûte une fortune et qu'on venait de m'offrir. Il était écrit aussi "les pantalons tire-bouchonnés", alors que ma compagne venait justement d'avoir la gentillesse de les repasser. C'est amusant. Ils veulent ça, ça correspond à une image que les gens ont de moi. Mais ça me protège. J'ai ma vie. Je m'amuse beaucoup à faire croire que ma vie est dans mes livres. Bien sûr il y a un peu de ma vie. Ce qu'on a de plus rapidement sous la main, c'est soi. Et puis de toute façon je peux parler de n'importe quoi, on va toujours croire que c'est moi.

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D'ailleurs on vous compare à d'autres personnes pour essayer de vous définir. A Woody Allen, par exemple.

C'est très vieux, Woody Allen. Ca fait trente ans qu'on me compare à lui. C'est quoi, c'est à cause des lunettes ? Je le trouve de moins en moins drôle, lui, contrairement à moi. C'est par paresse qu'on fait des comparaisons, c'est plus simple.

Vous avez dit récemment que vous étiez plus à l'aise avec le jeune homme de 27 ans, l'auteur de 'Salomé', qu'avec l'écrivain de 'Trois jours chez ma mère', pourquoi ?

Parce que j'ai le recul. Le garçon qui a écrit 'Salomé', c'est quelqu'un que j'ai très bien connu. Que j'ai perdu de vue, et que j'ai retrouvé plus tard. Tandis que 'Trois jours chez ma mère', je viens de le terminer donc je n'ai pas de recul du tout. Je peux même dire que je ne l'ai pas lu. Je suis trop dedans. Il faut un peu oublier ce qu'il y a dedans, pour lire ses livres. Celui-là, j'ai été obligé de le relire, le premier. Je suis assez content d'avoir pu me payer le luxe d'avoir gardé pour moi un livre que j'aurais pu publier à l'époque. Je l'avais proposé à un éditeur. Et puis au dernier moment j'ai décidé de le garder pour moi. J'aime beaucoup ce livre, il y a de la fièvre, il y a de la véhémence, c'est une sorte de monologue obsessionnel. L'idée de publier le premier livre d'un jeune homme et le livre d'un homme mûr en même temps me plaisait. Il y a un côté conte de fée. J'aurais aimé ne pas me connaître pour lire les deux livres. Je suis sûr que c'est un exercice curieux. On voit le jeune homme et l'adulte.

Justement, en lisant ces deux romans, on a l'impression que vous étiez beaucoup plus sérieux à 27 ans, et plus léger maintenant.

C'est qu'à l'époque, je n'avais pas l'humour, je n'avais pas encore compris que c'était un moyen de défense. Peut-être que j'avais moins besoin de me protéger. Dans 'Salomé' on ne rit pas tellement. C'était peut-être plus sincère. Lentement mais sûrement, 'Salomé' prend sa vitesse de croisière. 'Trois jours chez ma mère' est dans un autre système. Les gens qui m'écrivent à propos de 'Salomé' sont des gens sérieux qui m'écrivent des courriers sérieux, comme le livre.

Vous l'avez modifié, ce manuscrit, avant de le publier ?

Pas tellement. En fait j'ai retrouvé des notes de lecture prises quelque temps après avoir écrit ce roman, après l'avoir fait lire. J'avais écrit "refaire le début, couper dans les délires de page tant à page tant, rendre plus plausibles les femmes réelles par rapport aux fantasmes", et je l'ai fait. J'ai retrouvé assez facilement le contact avec ce jeune homme. J'ai ajouté des textes que j'avais écrits à l'époque, j'ai coupé, réécrit des choses. J'ai eu beaucoup de plaisir à écrire, et c'est ce qui m'a permis de finir 'Trois jours chez ma mère'. Le jeune homme que j'ai été un jour m'a poussé à écrire. Mais en même temps, je n'avais pas vraiment envie de le finir. C'est agréable d'être en train d'écrire un livre. On dit qu'on est en train de faire un livre. On n'a plus envie de le quitter. C'est un peu comme une liaison.

Dans 'Trois jours chez ma mère', votre héros, François Weyergraf, a beaucoup de projets. Il prévoit d'écrire un livre sur les volcans, un autre sur les chaises, c'est pour éviter de terminer le roman qu'il est en train d'écrire ?

C'était pour montrer qu'il faut avoir des projets. Ce ne sont pas des prétextes pour éviter quelque chose, on est nourri par les projets qu'on a. Même si on ne les finit pas, ils finissent par nous permettre de finir ce qu'on est en train de faire. Tout le monde a des projets. Mon héros n'est pas quelqu'un qui se disperse. Il pense à plein de trucs qu'il ne fera jamais, mais moi je trouve ça bien. Quand on ne publie pas les gens croient qu'on ne fait rien. Les gens disaient "il attend que sa mère meure pour finir son livre", alors qu'au contraire, un des charmes de ce livre est qu'il est publié du vivant de ma mère. Je serais triste qu'elle soit morte avant. Enfin, quoi qu'il arrive je serais triste, bien sûr, mais, par rapport à ce livre : le fait qu'elle soit en vie fait partie du projet. Depuis que le livre est sorti beaucoup de gens m'ont dit "après avoir lu ce livre je suis allé voir ma mère", donc c'est un livre utile. Beaucoup de gens l'offrent à leur mère, et en séance de dédicace, ils me disent : "c'est pour ma maman, elle s'appelle Mimi, Odette, etc."

Avec un tel succès, vous ressentez de la pression pour votre prochain roman ?

C'est entre moi et moi. A force d'écrire on s'imagine qu'on fait des progrès. A tort sûrement. Mais il faut croire ça, sinon…Donc on peut faire des choses de plus en plus difficiles. Un long monologue c'est plus facile, plus agréable à écrire. Tandis qu'écrire deux phrases dans lesquelles quatre, cinq ou six choses qu'on ne fait que suggérer, qui ne sont pas dans les phrases, c'est beaucoup plus dur. Dans mes derniers livres, il n'y a pas grand-chose dans les phrases parce que j'essaie que ces phrases fassent éclore des choses dans la tête de gens. Pour être drôle c'est encore plus compliqué. A un ou deux mots près la phrase n'est pas drôle, mais je sais qu'il y a un moyen de la rendre drôle. Ca peut prendre quatre ou cinq mois. Je me rends compte qu'il faut changer le verbe, ajouter un adjectif, en enlever un. Un peu comme on ajoute des fines herbes dans un plat. C'est assez proche du travail d'un grand chef qui veut inventer des nouveaux plats, l'écriture.

Vous vous perfectionnez ?

Non, on ne peut pas dire ça, je ne sais pas si je m'améliore. C'est comme les gens que je n'ai pas vus depuis longtemps, qui me revoient et disent pour me faire plaisir "Ah tu n'as pas changé !" Je sais très bien que j'ai changé, on change même en une seule journée. Et pour mon écriture c'est pareil, elle change. On commence par faire des textes un peu exhibitionnistes, où on se fait plaisir et où on espère que ce plaisir sera partagé. Et maintenant je pense au lecteur. Ce n'est ni mieux ni moins bien, mais c'est comme ça. Mais je prends aussi plus de libertés. La construction de 'Trois jours chez ma mère' est bien plus audacieuse que celle de 'Salomé', qui était une sorte de train à grande vitesse.

Vous en avez marre qu'on vous demande pourquoi vous avez attendu aussi longtemps pour publier 'Trois jours chez ma mère' ?

Ah oui ! En plus je n'ai pas de réponse. J'ai un peu mis en scène cette attente. L'année dernière, en août 2004, j'ai été assez près de le publier, mais il y avait des choses qui ne me plaisaient qu'à moitié, alors j'ai décidé d'attendre. Et puis ça m'amusait de démontrer la liberté d'un écrivain par rapport au système éditorial. Je me suis aperçu qu'on m'attendait, en plus. Pendant des années, les éditeurs n'ont pas vu une ligne de ce roman. Fin août 2005, ils n'avaient encore rien. D'ailleurs à un moment, pendant quinze jours ce mois-là, ils n'avaient pas de nouvelles de moi, je me demandais si j'allais vraiment sortir le roman cette année. Et puis je l'ai fait. J'ai eu raison.


Propos recueillis par Emilie Valentin pour Evene.fr - Novembre 2005

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