Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
- Les Chroniques de Faust -
23 mars 2006

Article dans « Ouest-France » « Cette génération

Article dans « Ouest-France »

« Cette génération est orpheline de tout »

Louis Chauvel, professeur à Sciences-Po.

Derrière la fronde anti-CPE, c'est toute une jeunesse qui dit son inquiétude pour l'avenir. Comment vivent les 18-25 ans en 2006 ? Qu'espèrent-ils ? Jusqu'à dimanche, Ouest-France leur donne la parole et interroge des adultes qui les observent. Aujourd'hui Louis Chauvel, jeune sociologue, témoin sans complaisance de la fracture entre les générations.

Vous parlez de désespoir social à propos des jeunes. Désespoir vraiment ?

Il y a d'abord une inquiétude générale. La société française ne sait plus où elle va. Cela touche les 18-25 ans, les trentenaires, et les plus âgés, leurs parents. Les jeunes ont, de surcroît, le sentiment d'être les sacrifiées du système. Ils constatent qu'ils sont de plus en plus mal venus dans le monde du travail. Voués au chômage, aux stages payés au mieux 350 €, et à la précarité. En 1973, à la sortie de l'école, le taux de chômage dans les 12 mois était de 6 %. Il avoisine les 30 %. Cela touche les jeunes de banlieues, les classes défavorisées mais également le haut des classes moyennes. Ce sont les premières générations (en temps de paix) qui savent, diplômées ou pas, qu'elles n'atteindront pas le niveau social de leurs parents.

La panne de l'ascenseur social ?

La France a fait le choix des pays conservateurs. Faute de croissance, elle a protégé les carrières des aînés, particulièrement celles des hommes, les baby-boomers, en défaveur de tous les autres : immigrés, jeunes, femmes. Dans une entreprise en difficultés, on organise des départs en préretraites et, si cela ne suffit pas, on licencie les derniers arrivés. Les jeunes servent de variable d'ajustement. C'est aussi le cas en Espagne et en Italie. Par contre, les pays scandinaves ont fait le choix inverse. Les jeunes entrent très vite dans le monde du travail. Ils peuvent concilier poursuite des études et emploi, mener tôt une vie réelle d'adulte, créer une famille...

Et pourtant, le système « verrouillé » à la française résiste... Grâce aux parents ?

La solidarité familiale permet aux jeunes de tenir, effectivement. Mais en état de dépendance. Ce sont les « Tanguy » à vie, du moins jusqu'à 30 ans et plus. Les employeurs se frottent les mains. Ils disposent de stagiaires, de CDD, de jeunes taillables et corvéables qu'ils font travailler sur fonds parentaux. L'économie du travail des jeunes est fondée, pour l'essentiel, sur l'épargne des parents. Mais cette aide familiale est extrêmement inégalitaire. Quelle injustice entre celui qui a le logement assuré par sa famille, socialement aisée, et son collègue, même âge, même salaire, qui se le voit amputer de 30 à 40 % par un loyer. Il a le sentiment que le travail ne rapporte rien, et l'on voudrait qu'il s'y investisse !

Cette fracture intergénérationnelle, comme vous l'appelez, est passée relativement inaperçue...

Je l'ai analysée dès 1996, en étudiant les taux de suicides. Au même âge, celui des jeunes était de 70 % supérieur à celui des générations précédentes. Un signe. Mais à l'époque, tout le monde s'est emballé pour la bulle Internet, la promesse d'une croissance retrouvée et toutes ces balivernes. Aujourd'hui, c'est fini, et la souffrance des jeunes générations resurgit. Derrière cette affaire du CPE, on prend conscience qu'il y a des problèmes de fonds qu'il faudra bien résoudre. À moins que la classe politique ne se dise une fois de plus : rien à faire avec cette jeunesse, laissons-la vieillir au fil de l'eau.

La génération dorée, celle de 68 et au-delà, abandonnerait ses enfants ?

En famille, ils sont aidés, je l'ai dit, mais dans l'entreprise, dans la vie collective, on les sacrifie. Sauf les héritiers. Les fils et filles de. L'élite protège ses enfants dans les grandes écoles. Mais partout ailleurs, dans les institutions, les lieux de pouvoirs, les syndicats, les partis, les jeunes sont absents. Observez les moyennes d'âges : en deçà de 45 ans, le vide. Les baby- boomers ont bétonné leurs statuts et pris le pouvoir. Ils les gardent. La génération actuelle se retrouve orpheline de tout.

Recueilli par Bernard LE SOLLEU

Publicité
Commentaires
G
"Au fond, on n'aime pas le bonheur. On tricote soi-même son désespoir, on se donne un mal pour ça!..." <br /> Edward Franklin Albee
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité