Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
- Les Chroniques de Faust -
28 décembre 2006

"VU" à la MEP

Site de la Maison Européenne de la Photographie

Qui a VU verra

9177832_pLa Maison Européenne de la Photographie présente jusqu’au 25 février 2007 une rétrospective sur l’hebdomadaire VU qui marqua un tournant dans l’histoire de la presse en se proposant de centrer l’information sur le message photographique. Sans aller encore jusqu’à l’affirmation de Robert Frank – « la photo, c’est le texte » - il s’agit pour la rédaction de mettre en pratique un nouveau credo : « le texte explique, la photo prouve ». En donnant une 9177943_pplace de choix à la photographie, VU va tourner une page décisive de l’histoire de la presse française, et initier les grandes tendances de l’image médiatique jusqu’à nos jours, comme celle du reportage photographique : pour les commissaires d’exposition (Michel Frizot et Cédric de Veigy), « Le pari d’informer par la photographie incite les éditeurs à privilégier les images dont la lecture semble évidente et sans ambiguïté, celles qui retiennent le regard, et le persuadent de saisir « ce qui se passe », comme si les faits y prenaient sens tous seuls. [La] prédilection pour les photographies les plus convaincantes implique de choisir des images plus efficaces dans leur emprise sur notre perception qu’utiles à notre intelligence des faits. L’aspect affectif et l’effet spectaculaire y prennent le pas sur le souci descriptif, la ligne « spectatoriale » remplace la ligne éditoriale […] ». VU initie alors un nouveau regard de la presse sur le monde, et un nouveau regard du monde sur la presse, « Instrument complémentaire de la vision, la photographie avait en retour instrumentalisé notre regard. »9177921_p

En créant en 1928 l’hebdomadaire VU, Lucien Vogel veut que la photographie y soit à l’honneur : quantité, visibilité et qualité de ces images seront trois leitmotivs pour tenter de montrer la réalité, démontrer le discours de VU sur cette réalité, émouvoir le lecteur et s’adresser à lui. Cette volonté d’accorder un rôle de premier plan à la photographie implique des choix quant à la façon d’intégrer des clichés dans un journal : combien de photos ? Dans quel ordre et selon quelle mise en page ? Quel format ? Quel rapport au texte ? Quelle place accorder au lecteur ?

Ces choix déterminants sont à l’origine chez le lecteur d’une façon de voir l’image de presse, de la considérer comme preuve et de la ressentir comme vecteur d’une émotion. Cette exposition, en montrant les choix préalables à la première diffusion médiatique de photos dans un hebdomadaire, contredit l’expérience commune : la photographie, qui nous paraît si vraie, si naturelle, n’est pas cette adequatio intellectus et rei comme le dit Fontcuberta, cette adéquation de l’idée (d’un photographe présumé objectif donc innocent) à la chose, comme on se plaît à la croire, mais bien le résultat d’opérations humaines arbitraires.

La photographie n’est pas donnée mais construite, et lorsque nous voulons – nous, lecteurs – faire d’une photographie une preuve, nous nous leurrons en tentant de créer fictivement, intellectuellement, cette adéquation à la chose. Nous y mettons une vérité qui n’y est pas. Alors bien sûr, à défaut de pouvoir modifier la chose, nous en modifions l’idée que nous nous en faisons. 1_13422_G4638Les commissaires de l’exposition, auteurs des remarquables textes en marge, démontent ainsi ce mécanisme à l’œuvre de façon exemplaire dans le célèbre cliché de Capa montrant un républicain espagnol touché d’un balle en pleine tête. Selon eux, cette photo, qui a été l’objet d’une polémique quant à son éventuelle mise en scène, présente l’intérêt de contribuer à démontrer que la photographie suscite d’emblée chez le spectateur un processus d’adhésion et de croyance, en mettant à mal et en suspens la foi du regardeur en ce dispositif : « Le scandale de la mise en scène ne vient-il pas avant tout du fait que le photographe a été capable de prévoir son efficacité sur nos regards ? […] l’instant fait davantage événement dans notre imaginaire que dans les faits auxquels il renvoie. Notre créance, nos projections, notre foi surdéterminée dans l’image y sont comme prises en flagrant délit. Notre réception quelque peu ingénue des photographies rend nos regards non seulement prévisibles mais instrumentalisables […] encourageant une vision du monde qui s’accommode d’un manque d’explication. »

Dans le nouvel hebdomadaire VU, les photographies sont donc présentes en grand nombre, sous des formats variés (rectangulaire, ovale, octogonal, rond, rectangulaire à bords arrondis…) pouvant se chevaucher : les cadres peuvent être subvertis par d’autres cadres ou par l’image (comme avec cette canne à pêche sortant d’une photographie pour entrer dans une autre). Les photographies de VU s’inscrivent aussi dans une filiation cinématographique : « Il s’agit pour le lecteur-spectateur de retrouver le sentiment qui lui procurent les « vues d’actualité » cinématographiques regardées chaque semaine par des millions de personnes » et, dans le cadre de la mise en page des photos de VU, « le « montage » s’apparente à celui du film muet, à un9177932_p moment où le cinéma est devenu parlant. » A ce montage des photographies s’ajoute le photomontage, l’un répondant à l’autre sur le principe du tout ou de la partie. En quatre mouvements, la scénographique didactique de l’exposition décrypte les nouveaux codes photographiques qui apparaissent dans VU : les « dispositifs techniques », les « inventions formelles et narratives à l’œuvre dans l’agencement des images », « l’efficacité nouvelle des images sur le lecteur » et « l’étonnement né du pouvoir de photographier le monde ». Au final, on ne pourra donc que recommander chaudement cette présentation illustrée, documentée et intelligemment commentée des premiers pas de la photographie de presse.

Louise Charbonnier

(novembre 2006)

Louise Charbonnier est doctorante, allocataire de recherche et monitrice en Sciences de l'Information et de la Communication à l'Université Lumière Lyon 2. Ses thématiques de prédilection sont le dispositif iconique, la photographie et le rapport entre réel et fiction à l'oeuvre dans les dispositifs de représentation par l'image. Elle est l'auteur de deux travaux de recherche sur le cadre rectangulaire qui délimite la majorité des appareils de communication visuelle qui nous entourent.

RAPPEL : l'entrée de la MEP est gratuite tous les mercredis à partir de 17h (jusqu'à 20h)

Publicité
Commentaires
L
Bonjour et merci de relayer mon article.<br /> Cordialement,<br /> Louise Charbonnier
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité