Duel sur blog entre Kassovitz et Sarkozy Le 17
Duel sur blog entre Kassovitz et Sarkozy
Le 17 novembre, le réalisateur Mathieu Kassovitz a posté sur son blog
une note intitulée «La France d'en bas...» dans laquelle il exprime son
point de vue sur les événements qui ont secoué les «banlieues de
France».
Le 17 novembre, le réalisateur Mathieu Kassovitz a posté sur son blog une note intitulée «La France d'en bas...» dans laquelle il exprime son point de vue sur les événements qui ont secoué les «banlieues de France». Au fil des lignes, il s'en prend vertement à l'action et aux propos du ministre de l'Intérieur, notamment qualifié de «petit Napoléon».
Parmi les 397 commentaires relevés sur le blog du cinéaste, on peut lire un long message signé d'un certain Nicolas Sarkozy, posté le 22 novembre. Par un communiqué, l'UMP a confirmé que la réponse était bien celle de son président et en a publié l'intégralité sur son site avec le surtitre «Tribune».
Un ministre répondant directement
sur internet aux interpellations le concernant, l'histoire a un
précédent. Emmanuel Parody, directeur du dévéloppement de CNET
Networks France (éditeur de ZDNet.fr) a retrouvé la trace d'une intervention de François Fillon,
alors ministre du gouvernement Juppé, participant en 1996 à une
discussion sur un newsgroup pour défendre un amendement législatif.
Le blog de Mathieu Kassovitz : http://www.mathieukassovitz.com/blog/
Réponse de Nicolas Sarkozy au réalisateur Mathieu Kassovitz
Parue sur le blog de Mathieu Kassovitz – le 22 novembre 2005 :
Monsieur,
Ce n'est pas rendre service aux banlieues que de prendre fait et cause
pour une minorité dont les actes sont répréhensibles et parfois même
meurtriers
J'ai pris connaissance de vos propos développés sur votre blog relatifs
à la crise qui a traversé plusieurs de nos banlieues. Au-delà de vos
flèches caricaturales et provocantes dont je suis la cible, j'ai tenu à
vous répondre personnellement car je crois aux vertus du débat et de
l'échange, notamment avec celles et ceux qui ne souscrivent pas à mes
idées ou mes actes.
Le premier point qui m'a frappé à la lecture de votre blog, c'est qu'il
laisse fortement entendre que la crise actuelle a surgi soudainement,
comme par un malheureux hasard.
Vous l'attachez de façon réductrice et manichéenne à ma personne et à
quelques mots prononcés par moi-même… Ces mots, j'assume leur tonalité
directe et franche car ils sont fondés sur la réalité d'un quotidien
vécu par une majorité de nos concitoyens dans les cités. Au surplus,
j'estime que le "politiquement correct" et la langue de bois qui
prévaut depuis des décennies ne sont pas indifférents à la montée du
vote extrémiste dont je combats depuis toujours les idées et les
leaders.
Vous connaissez, semble-t-il, suffisamment "les quartiers" pour savoir,
au fond de vous-même, que la situation est tendue depuis de longues
années et que le malaise est profond. Votre film, "La haine", qui date
de 1995, évoquait déjà ce malaise que des gouvernements, de droite
comme de gauche, ont dû gérer avec plus ou moins de réussites. Limiter
cette crise aux faits et gestes du Ministre de l'Intérieur, c'est,
d'une certaine façon et une fois encore, passer à côté des vrais
problèmes. Je mets cela sur le compte d'un coup de cœur mal placé.
Le second point qui m'a heurté, c'est que vous paraissez vous faire,
sans nuance, le porte-parole d'une minorité de casseurs plutôt que
l'interprète d'une majorité de familles et de jeunes qui vit, elle
aussi, dans les cités et qui en a assez de constater que la culture de
la violence et des rapports de forces s'est imposée sur celle de l'Etat
de droit. Pourquoi n'avoir aucun mot pour ceux dont la voiture a brûlé,
les privant ainsi d'un outil de liberté et de travail durement acquis ?
Pourquoi ne pas évoquer ces jeunes dont les gymnases ont été réduits en
cendres et ces enfants dont l'école est détruite ? Pourquoi, par
ailleurs, n'avoir aucune pensée pour les 110 policiers blessés, les
pompiers caillassés et les médecins injuriés ?
Votre proximité affective à l'égard des jeunes des cités est
compréhensible et estimable, mais j'ai le sentiment qu'elle vous
conduit à accepter ce qui n'est pas acceptable. Ce n'est pas rendre
service aux banlieues que de prendre fait et cause pour une minorité
dont les actes sont répréhensibles et parfois même meurtriers. Je crois
même le contraire.
Vivre dans un quartier populaire ou être le fils de parents ou
grands-parents immigrés n'autorise nullement à lancer des cocktails
molotov sur la police et des pierres sur les pompiers. Laisser entendre
le contraire, c'est, selon moi, insulter toutes celles et tous ceux
qui, dans des conditions d'existences identiques, se comportent en
citoyen responsable.
Je n'ignore nullement le fait que derrière cette crise il y a des
facteurs économiques, sociaux et culturels. J'en ai mesuré l'ampleur et
c'est pourquoi je défends, notamment, le principe de la discrimination
positive ou encore le vote des étrangers aux élections municipales. Il
est temps de briser l'égalité de façade dont notre pays est coutumier
depuis trop longtemps ! Il est temps de donner toutes ses chances à la
France plurielle dont j'estime qu'elle est un atout et non un handicap
! A cet égard, je veux vous dire que la Police est sans doute le
service public le plus représentatif de cette France plurielle que
j'appelle de mes voeux.
Cette nouvelle impulsion dont les quartiers ont tant besoin, ne peut
être engagée en l'absence d'un rétablissement des règles républicaines.
Le développement des trafics, des violences, des "tournantes", de
l'immigration clandestine, minent tous les efforts que nous pouvons
entreprendre. En ces zones de non-droit, l'ordre républicain n'est pas
l'adversaire du progrès, mais bien son allié.
Nous sommes en présence d'une des crises urbaines les plus complexes et
les plus aiguës que nous ayons eu à affronter. Elle exige de la fermeté
et beaucoup de sang froid. Ces sont ces instructions précises que j'ai
donné aux forces de police et de gendarmerie. Elles agissent avec une
maîtrise et un professionnalisme qui font honneur à notre démocratie.
Au cours des quatre dernières semaines, certaines de nos unités ont
fait face, dans le calme et la discipline, à une violence dont je vous
demande de ne pas sous-estimer la brutalité.
Voilà les quelques réflexions que m'inspire la lecture de votre blog.
Je sais que vous êtes, avec votre style et vos convictions, à la
recherche d'une prise de conscience des pouvoirs publics vis à vis des
banlieues. Depuis tant d'années, beaucoup d'argent a été engagé,
beaucoup d'efforts ont été entrepris par les services de l'Etat comme
par les acteurs de terrain. Les résultats ne sont pas à la hauteur des
attentes. Nous y avons tous notre part de responsabilité. Comment faire
mieux et autrement ? Cette question, il faut maintenant la résoudre.
Demeurant disponible pour poursuivre, si vous le jugez utile, notre
échange de vive voix, je vous prie de croire, Monsieur, à l'assurance
de mes sentiments les meilleurs".