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- Les Chroniques de Faust -
27 février 2006

Expo "Communiquer avec l'autre"

EXPOSITION Livres de Parole : Thora, Bible, Coran
Communiquer avec l’Autre

Jusqu’au 30 avril 2006, la BNF, sur le site François Mitterrand, rend hommage aux livres fondateurs des différents monothéismes en réunissant un ensemble important de supports de papier, papyrus, parchemin et phylactère inspirés de la Parole divine. L’occasion d’une digression culturelle hétéroclite autour du Livre et de l’Ecriture.

La religion est un sujet extrêmement sensible dans notre société. Tout initiative publique se doit d’investir l’espace sacré avec le recul nécessaire. Cette exposition se présente ainsi comme une alternative pertinente au prosélytisme et à l’anticléricalisme chevronné. En favorisant l’expérience profane de la philologie et de la contemplation esthétique, elle vise à traiter non du contenu de l’Ecriture et du Livre, mais de sa forme, tributaire des contingences culturelles et sociopolitiques. Sa thématique n’est pas le sacré en soi mais sa matérialisation par l’écrit, et son objet n’est pas la compréhension de Dieu mais l’histoire de sa représentation. Cette invitation au voyage à travers les fluctuations et les bouleversements religieux s’inscrit donc dans un cadre pédagogique et culturel que l’on pourrait énoncer à partir de trois attributs inhérents à l’Ecriture et au Livre : la tradition, la transmission et la propagation.

Une exposition ludique et pédagogique

Le parcours s’ouvre sur un petit vestibule où une carte géographique, propre aux régions concernées par la naissance des monothéismes, est associée à une chronologie très précise. Desseins pédagogiques et éducatifs se réalisent à travers un subtil agencement des salles où chaque religion apparaît distinctement dans un espace non clos, comme pour signifier la filiation, les liens originels indéfectibles. De nombreux cartels consciencieusement élaborés dans un souci de clarté et des espaces médias relatent l’Histoire, les cultures et les liturgies propres aux différents monothéismes. Enfin - paradoxe d’une rencontre désormais ordinaire - cette exposition, exaltant le livre comme livre, c'est-à-dire comme repère traditionnel et confirmé d’un savoir universel et éducatif, utilise le support informatique comme outil de réflexion et de conservation. Le détail de l’association du manuscrit et de l’informatique révèle un problème herméneutique fondamental. Privé des médiums traditionnels, la pensée véhiculée n’est plus accessible dans sa plénitude et l’interprète relativise ses certitudes. Avec l’écriture moderne, la possibilité de "vaincre une distance, un éloignement culturel, d’égaler le lecteur à texte devenu étranger [...]" (1) s’amenuise considérablement. Déchue des indices culturels , historiques et ontiques, ce mode de communication réduit l’identité du texte à l’expression littérale la plus brute, la plus figée, qui dit ce qu’on lit sans engager ce qu’elle est. A contrario, le manuscrit doit se vivre comme "[…] un palimpseste sous la surface duquel un autre texte est écrit" (2), donnant accès à une conscience particulière et à une mémoire collective.

L’écriture pour identifier : la naissance du monothéisme

Le Livre est avant tout ce qui permet de figer la révélation, afin de la préserver. Pour le religieux, il rend immuable le sens sacré en établissant la tradition, pour le profane il est une source inépuisable de compréhension des fondements historiques et structurels du monothéisme.

Prémices à la croyance ou aux fondements du monothéisme, les présences de papyrus égyptiens et de statuettes mésopotamiennes viennent corroborer cette exigence. Les fragments de la mer Morte, rédigés par les Esséniens, datant du Ier siècle, le plus ancien Coran datant du VIIe siècle et l’exemplaire de l’Evangile selon saint Matthieu, trouvé au bords de la mer Noire, datant du VIe siècle, sont les reflets émouvants et concrets de cet héritage lointain. L’identité, c’est aussi les outils de rédaction - calames en roseau, stylets, grattoirs d’encres et pigments - supports en papyrus, omoplates de chameaux, morceaux de palmes, etc. - ainsi que de nombreux objets de préservation et de transports - jarres de Qumram, sacs en cuir ou peau de chameau, etc.

Le Livre pour transmettre

Tradition, du latin tradere, signifie remettre, transmettre. La transmission s’inscrit viscéralement dans la tradition. Elle est le fait de l’homme dans sa lutte insatiable contre le temps. L’usure, l’oubli, les guerres, le syncrétisme peuvent falsifier l’identité, priver les descendants d’un héritage authentique et briser la mémoire collective. La transmission, c’est le passé dans l’avenir et ‘l’à-venir’ du passé. Le plus ancien Pentateuque traduit en arabe au IXe siècle par Saada Gaon ben Joseph, chef de la communauté de Babylone, vient nous rappeler l’histoire de la diaspora juive et les conséquences sur le mode de préservation de la loi mosaïque. Exil signifie dispersion et implique le passage de la loi orale à la loi écrite, la mutation du judéisme en judaïsme et du ‘peuple de la terre’ en ‘peuple du livre’. Malgré les variations formelles du contenant, le contenu devra être préservé et transmis par la médiation du livre. La transmission par l’écriture comme persévérance face au lointain. Le ‘Mishneh Torah’ de Maimonide, dans sa version originale datant du XIVe siècle en Catalogne, porte en lui tous les indices du mélange culturel et des effets de la rencontre avec ‘l’Autre’.

Propagations et altérité

L’hétérogénéité des traductions, les différenciations formelles et les indéniables syncrétismes culturels sont les conséquences d’une propagation des monothéismes. La dureté de l’Histoire et la brutalité des faits, qui ont malheureusement accompagné les conversions, s’amenuisent sous le reflet humaniste du livre. Les transformations linguistiques, les digressions iconographiques, les influences étrangères sont les fruits de l’altérité, elle-même rendue possible par un type particulier de propagation conforme à la définition de E.Lévinas."Convertir ou persuader, c’est se créer des pairs", dit-il, car celui qui accepte la révélation ou le kérygme "devient son maître comme celui qui la propose" (3). Ainsi le livre devient l’objet de cette altérité et d’une certaine perte d’autorité des acteurs du prosélytisme. Et la propagation est monumentale. Du grec à l'inuktitut (langue inuit), en passant par le latin et le français, les traductions de l’Evangile seront à la hauteur des ambitions universalistes chrétiennes.

On reste admiratif devant la traduction comparative (latin et grec) de Erasme ou face à la version allemande de l’Ancien Testament par Luther. Autre exemple d’influence considérable en la présence du Tétra Évangile arménien dont l’alphabet prit naissance à partir des traductions de la Bible au Ve siècle. L’Islam, plus strict quant à l’exclusivité de la langue arabe, verra naître paradoxalement une variation linguistique importante. Corans chinois, indien, javanais (dès le XIVe siècle, les missionnaires arabes et persans propagent l’Islam en Indonésie), etc. Liberté de ton et de représentation par l’image s’imposeront aussi peu à peu. La traduction latine du Coran par l’abbé de Cluny avec la caricature de Muhammad permet à l’Islam, sous couvert de réfutation, d’investir le monde occidental.
L’exposition soulève également le problème de l’imprimerie. La Bible éditée en 1455 par Gutenberg à Mayence est le reflet de l’avantage considérable pour la propagation du christianisme au dépend de l’Islam. Contraint par des exigences de copies très précises, sans défaut, l’usage de l’imprimerie sera interdit du XVe au XIXe siècles pour la reproduction du Coran.

Une exposition d’artistique

Ces fusionnements culturels ne se réalisent pas sans créativité et abondance iconographique. Le livre et l’écriture restent de véritables oeuvres d’arts. Somptueuses calligraphies, reliures d’or, iconographies chrétiennes ou musulmanes, esthétique de la lettre… L’exposition est un événement artistique à part entière. Les nombreuses variations calligraphiques iraniennes, irakiennes ou syriennes révèlent la multitude des formes et de mises en pages. Larges lettres, proportions voluptueuses et harmonieuses des différents styles marqueront les singularités et les divergences. Avec le judaïsme, la lettre devait dire l’infini, objectiver le divin. L’Islam va y ajouter un supplément figuratif et malgré l’interdit de la représentation, les visiteurs seront éblouis par les couleurs et l’originalité des Corans indiens du XVIe siècle en lettres d’or ou des Corans turcs représentant la vie du prophète. On notera la finesse d’un recueil iranien d’anecdotes satiriques en prose.
Les illustrations des Evangiles seront l’occasion de raconter la vie des saints (voyages de saint Jérôme dans une bible de Charles le Chauve vers 846) ou d’éduquer avec aisance les populations analphabètes - manuscrit de peinture représentant la passion en 1577. Le livre ‘Des échecs amoureux’ de l’humaniste Evrard de Conty, associant la mythologie grecque et l’allégorie chrétienne, sera présenté comme le reflet du syncrétisme esthétique. Effervescence créatrice avec le Ier évangéliaire de la sainte Chapelle exécuté par les orfèvres parisiens au XIIIe siècle.

Une conclusion allégorique et studieuse

Le voyage prend fin avec un "puit de connaissances" où le nom de Dieu, décliné sur un écran en plus de 1000 langues, est associé à une voix off, énigmatique, récitant des textes sacrés. Initialement pédagogique, le parcours se termine comme il a commencé, il offre la possibilité d’écouter des commentaires de spécialistes, puis de consulter de nombreux ouvrages et données informatiques dans une petite bibliothèque. Au-delà de la contrainte, de la force et de la nécessité, le livre a investi l’espace fraternel et humaniste de la rencontre avec l’Autre, transformant le maître en égal et l’étranger en ami.
Une belle exposition, qui suscite l’envie d’appréhender le Livre à la manière du philosophe allemand Peter Sloterdjik, comme "de grosses lettres adressées aux amis"(4).


(1) Paul Ricoeur : 'Le Conflit des interprétations', Existence et Herméneutique, p. 8, éd. Seuil, Paris 1969.
(2) Ibid., Religion, athéisme, foi, p.433.
(3) E.Levinas : 'Quelques réflexions sur la religion de l’hitlérisme', p. 23, éd. Rivages, Paris 1997.
(4) Peter Sloterdijk : 'Règles pour le parc humain', p.7, éd. Mille et une nuits.

Thomas Yadan pour Evene.fr - Février 2006

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D
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