L'avenir en marche avant
Editorial du "Ouest-France"
L'avenir en marche avant
par Didier PILLET
La fronde anti-CPE n'a pas trouvé d'apaisement dans l'annonce, par le président de la République, de cette suspension du texte qui ne dit pas son nom. Le Contrat première embauche n'est pas mort, il bouge encore et la rue, les facs restent mobilisées. Une journée de grève nationale, demain, va de nouveau mettre le pays au ralenti. La sortie de crise, que la perspective de perdre l'année universitaire et scolaire rend chaque jour un peu plus urgente, n'est pas en vue.
Ce conflit a mûri lentement, il ne s'éteindra pas d'un coup. Il n'est même pas dit qu'un retrait pur et simple du contrat honni suffirait à faire retomber la pression au sein d'une jeunesse qui a les nerfs à vif, l'espoir en berne et l'amertume au coeur. Car ce n'est pas seulement le présent qu'a terni le CPE : il a bouché l'horizon. La génération précaire, comme elle se définit, est désormais convaincue qu'on veut la faire entrer dans l'avenir à reculons. Demain sera moins bien qu'hier, a-t-on entendu à longueur d'AG ; le corps froid du progrès reposerait quelque part dans l'album souvenir des parents.
Pour sortir de la crise du CPE, il faudrait pouvoir restaurer la confiance. Et la confiance ne reviendra pas sans une mise au clair avec les réalités du monde, tel qu'il va, sans un vrai partage des efforts d'adaptation, sans un rassemblement de toutes les forces du pays autour d'un projet d'avenir économiquement, socialement et politiquement ambitieux.
Première étape pour prendre l'avenir dans le sens de la marche : dire la vérité et en faire la pédagogie. Ainsi la libéralisation des échanges n'est-elle pas la mère de tous nos maux. Il faudra dire et redire que l'ouverture des frontières est facteur de prospérité, y compris dans notre pays où les investissements étrangers créent plus d'emplois que les délocalisations n'en suppriment. Et que la mondialisation n'engendre pas la dérégulation, c'est l'inverse qu'elle produit. Les économies du monde - de l'Europe comme des pays émergents - marchent, plus ou moins vite, mais marchent vers nos standards de vie. Et, hormis dans quelques pays d'Afrique, l'avenir s'enclenche partout en marche avant. Alors, cessons de faire croire le contraire à nos jeunes. Aidons-les à se mettre en route.
Sans doute la compétition internationale exige-t-elle des efforts d'adaptation : ceux-ci doivent être partagés. Faire porter sur les épaules de quelques-uns, comme le suggère le CPE, le poids de tous les problèmes non résolus, de toutes les rigidités de notre société ne peut conduire qu'à l'impuissance actuelle. Et, demain, à la guerre des générations. À cet égard, le « Grenelle » évoqué sans doute maladroitement, mal à propos et à contre-temps, ces derniers jours, s'imposera bientôt comme une impérieuse nécessité.
Reste la direction à donner à tout cela. Contrairement à l'impression qu'ils donnent souvent, les Français sont prêts à bien des efforts à la condition que la charge en soit équitablement et honnêtement répartie, que le projet soit clair, discuté et partagé. Là est sans doute le plus grand et le plus grave échec du président Chirac. La curieuse élection de 2002 l'avait mis, de manière inattendue, en capacité de forger un grand projet d'ambition et d'union nationales. Il ne s'y est pas attelé et a raté l'occasion de laisser avec un peuple en état de marche une trace dans l'histoire. Il serait tragique que ses successeurs potentiels n'entendent pas la demande de sens et le désir d'unité qui montent, à travers la crise actuelle, de tout le pays. L'heure est trop grave pour s'accommoder longtemps encore des petits calculs de boutiquiers envieux et avaricieux.
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