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- Les Chroniques de Faust -
24 mai 2006

Philippe Besson

INTERVIEW DE PHILIPPE BESSON
L'intime pudeur

Six mois après la parution d’'Un instant d’abandon’, dans lequel il racontait l’histoire d’un père qui avait laissé son enfant se noyer, Philippe Besson revient avec ‘L’Enfant d’octobre’. Un roman, inspiré de l’Affaire Grégory, pétri d’empathie pour la mère de l’enfant, Christine Villemin.

L’écrivain nous a généreusement accordé un peu de son temps pour nous parler de ce dernier livre et de son oeuvre, des atmosphères, des artistes qui l’inspirent, et des thèmes qui l’obsèdent… Il nous invite, par la sensibilité et la richesse de ses réponses, à plonger ou replonger dans ce qu’il appelle la "vérité nue des mots".

Vous inaugurez avec 'L'Enfant octobre' une nouvelle collection chez Grasset - "Ceci n'est pas un fait divers". Pourquoi avoir choisi l'affaire Villemin pour en faire un roman ?

Pour m'inscrire - humblement - dans une tradition littéraire qui voit les romanciers s'emparer des faits divers : on se souvient de Stendhal réinventant l'affaire Berthet dans 'Le Rouge et le noir', de Norman Mailer évoquant Gary Gilmore dans 'Le Chant du bourreau'. Egalement parce que la tragédie de la Vologne relève à mon sens d'une mythologie française, appartient à la mémoire collective. Mais surtout parce qu'elle entre en collision intime avec mes obsessions d'écrivain : la disparition d'un être cher, la mise à l'épreuve des liens familiaux, la façon d'accomplir son deuil, ou encore la solitude du coupable idéal face à la meute.

Comment vous êtes vous documenté ? Et comment avez-vous "digéré" tout cela pour en faire un roman ?

Ce crime a eu lieu il y a 22 ans. J'ai retrouvé les archives de l'époque, les coupures de presse. J'ai lu également certains des nombreux livres qui ont été publiés sur l'affaire. Et j'ai tenté de digérer tout cette masse d'informations pour n'en conserver que ce qui m'intéressait en tant que romancier : la solitude d'une femme suppliciée face au dérèglement de la machine judiciaire et à l'emballement de la machine médiatique. Mon roman ne prétend pas à la vérité. Il est une relecture subjective, partiale, partielle, intime de la réalité.

Les chapitres dans lesquels vous faites parler ou penser Christine Villemin sont les plus forts, les plus émouvants de votre livre. Comment avez-vous fait pour être à ce point réaliste, pour que tout ce que vous lui faites dire sonne si juste ?

J'ai déjà emprunté à trois reprises la voix d'une femme dans mes romans. Dans 'Les Jours fragiles' notamment, je me glissais dans la peau d'Isabelle Rimbaud, la soeur d'Arthur, au moment où celui-ci revient en France pour mourir et j'imaginais son journal intime. J'ai besoin de me sentir en empathie avec ceux dont je raconte l'histoire, en sympathie aussi. Et puis je vais interroger à la fois la part de féminité et la part de douleur qui sont les miennes, et qui gisent au fond de chaque homme.

On sent en effet, notamment dans votre écriture, infiniment sensible, cette part de féminité. Est-ce que ce n’est pas aussi plus facile de choisir des personnages apparemment très différents de soi pour aborder des thèmes qui nous sont le plus chers ?

Il s'agit d'une démarche paradoxale : d'une part, on choisit des personnages a priori éloignés de soi parce que cela permet de révéler une part de sa vérité intime tout en demeurant masqué ; d'autre part, on va puiser en soi les sentiments les plus enfouis et on les fait remonter à la surface tout en s'efforçant de demeurer pudique. Mais, à la fin, dans l'écriture, j'assume absolument ma féminité, ma fragilité, et mes ombres.

Qu'est-ce qui vous émeut tant dans la personne de Christine Villemin ?

La manière dont une femme confrontée à l'effroyable - la perte de l'enfant dans des conditions dramatiques - doit surmonter cette épreuve et faire face au tribunal de l'opinion.

Comment réagissez-vous à la plainte engagée par Christine Villemin à votre encontre ? Est-ce que vous aviez envisagé cette éventualité en écrivant ce livre ? Même si vous prenez sa défense, n'avez-vous pas l'impression de lui voler, de voler à sa famille une partie de leur vie, de faire ressurgir des moments qu'ils voulaient oublier ?

A ce jour, aucune plainte n'a été déposée. Et je ne fais pas de commentaire sur des spéculations. Par ailleurs, je veux m'en tenir à un débat strictement littéraire. Une observation néanmoins, à propos de la question de l'oubli souhaité par la famille. Cette question a été tranchée par les Villemin eux-mêmes, qui ont vendu les droits de leur propre livre ('Le Seize octobre') pour en faire une fiction (6 épisodes de 52 minutes) qui sera diffusée sur France 3, en septembre 2006. Il me semble que leur tranquillité risque d'être davantage dérangée par cette fiction que par la publication de mon texte.

Vous avez aussi écrit dans le Magazine littéraire avoir voulu régler un compte (littéraire) avec Marguerite Duras (et sa chronique, titrée "Sublime, forcément sublime", parue dans Libération au moment de l'affaire.) Duras était en effet persuadée de la culpabilité de Christine Villemin. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J'avais trouvé normal que Duras, écrivain fascinée par le fait divers et régulièrement happée par le réel, se saisisse de cette affaire. J'observe que Libération avait publié ce texte sans que certains donneurs de leçons d'aujourd'hui (saisis par un remords tardif ?) n'y trouvent rien à redire. Simplement, je n'ai jamais cru à la thèse de la culpabilité de la mère. C'est pourquoi, dans mon roman, je soutiens celle de l'innocence, laquelle a du reste été établie par la justice il y a treize ans.

Marguerite Duras fait d’ailleurs partie de vos écrivains préférés, je crois ?

J'ai une admiration presque sans limite (et parfois aveuglée, je le concède) pour son oeuvre. 'Le Barrage contre le Pacifique', 'Le Ravissement de Lol V. Stein', 'L'Amant', ce sont des chefs-d'oeuvre. Je les relis inlassablement. Et inlassablement, je suis émerveillé.

Beaucoup de vos romans tournent autour de l'absence, la perte d'un être cher. Pourquoi ce thème est si présent, dans votre oeuvre ?

Ce sont, en effet, des thèmes qui m'obsèdent. Je vis avec mes disparus. Leur absence est, certains jours, impossible à supporter. L'écriture me permet de les retrouver, de les aimer encore. On écrit aussi pour tenter de régler certaines névroses, tout le monde sait cela. Et puis, la littérature est le lieu de l'intranquillité, de la souffrance. Si on veut lire des histoires avec des garçons qui naissent dans les choux et les filles dans les fleurs, il y a les contes de fées. Ce n'est pas exactement mon genre.

Il y aussi un autre thème, un élément qui est très présent, dans votre oeuvre, c'est l'eau. En quoi ce thème vous inspire ?

J'ai grandi non loin de la mer. Je vis la moitié de l'année au bord de l'océan. Je ne pourrais pas m'en passer. La mer, c'est à la fois la beauté et le danger. Et je me reconnais dans la phrase de Prévert : "Je ne peins pas les choses, je peins au-delà des choses. Pour moi, un nageur est déjà un noyé".

Vous avez une écriture très sensible, mais aussi à la fois très rythmée et très visuelle.  Un de vos romans précédents, ‘L’Arrière-saison’, est d'ailleurs entièrement construit autour d’un tableau d’Hopper. Qu’est-ce qui vous attire, vous inspire chez ce peintre ? Est-ce que vous peignez vous-même ?

Non, je n'ai pas ce don, hélas. Mais je suis fasciné depuis longtemps par certains peintres, d'ailleurs très différents les uns des autres : Le Caravage, Le Greco, Goya (des dernières années), Picasso (des jeunes années), Hopper, Bacon, d'autres encore. Leur oeuvre interpelle le spectateur que je suis. J'essaie d'en mesurer la beauté et d'en percer le mystère. J'aime l'idée que les peintres me racontent le début d'une histoire et que je doive écrire la suite.

Ecoutez-vous de la musique, en écrivant ?  Et si oui, quelle musique ?

J'ai le plus souvent besoin de silence pour écrire. La solitude et le silence vont bien ensemble. Pour autant, il m'arrive régulièrement de me passer des CD en boucle : Perry Blake, par exemple. Mais aussi Barbara ('Le Mal de vivre', tout de même, c'est d'une splendeur presque insoutenable), Mano Solo ou, plus récent, James Blunt.

Vous semblez très soucieux d’être le plus possible en contact avec vos lecteurs. Dans les salons, vous prenez le temps de discuter avec vos lecteurs, et vous avez aussi créé un site internet. En quoi ce contact est-il si important, pour vous ?

Parce que, si l'on écrit dans une solitude imbattable, c'est également nécessaire de retrouver à un moment ou à un autre ce que j'appelle "le dehors". Et le contact avec le lecteur est un moment privilégié. D'abord parce qu'il est empreint de beaucoup de bienveillance, la plupart du temps. Ensuite, parce que c'est la seule occasion pour un écrivain de comprendre en quoi son livre a touché les gens. Enfin, parce que les lecteurs, quand ils s'adressent à un auteur, parlent avant tout d'eux-mêmes et dévoilent une part de leur intimité. C'est la magie des livres depuis toujours : ils nous renvoient à ce que nous sommes, ce que nous portons, à nos souvenirs, nos névralgies, nos désirs.

Vous avez publié 7 livres en à peine 5 ans. J'imagine que vous avez déjà bien avancé votre prochain roman ? Pour quand est prévue sa publication ?

Le prochain roman devrait sortir en mars 2007. Il est, en effet, presque achevé. Il évoque la séparation. Vous voyez, je n'échappe pas à mes obsessions...

Est-ce que vous voulez rajouter un dernier mot pour les lecteurs d’Evene ?

A la fin, la seule chose qui importe, c'est le livre, la vérité des mots. Tout le reste, les commentaires (les miens ou ceux des autres), ce n'est rien ou presque. Ca ne peut rien contre la vérité nue des mots.

Propos recueillis par François Ménard pour Evene.fr - Mai 2006

P.S. : J'ai rencontré cet écrivain lors de la Rentrée littéraire au Sénat en sept. 2005. J'ai lu "Les jours fragiles" : très bien !

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