Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
- Les Chroniques de Faust -
28 juin 2006

Théâtre : La Maladie de la Mort

dsc00110Je suis allée au Théâtre de la Madeleine (8ème) pour voir la pièce "La Maladie de la Mort", texte de Marguerite Duras, jouée -ou plutôt lue- par Fanny Ardant. J'ai bien aimé, même si au départ on a du mal à entrer dans l'histoire... Les textes de Duras sont toujours mystérieux ; on reconnaît de suite le style de cet auteur... Fanny Ardant, dont on connaît le talent, nous relate cette histoire avec émotion et justesse ; elle devient presque un troisième personnage dans cette histoire... Les thèmes de cette pièce sont les thèmes souvent évoqués dans les oeuvres de Duras, à savoir : l'amour, le sexe, la beauté, l'homme, la femme, l'impossibilité, la mort...

Le texte La Maladie de la mort, de Marguerite Duras, n’était pas destiné au départ au théâtre. Cependant, elle avait envisagé sa représentation sur scène avec la volonté de rester dans la lecture. Non dans le jeu. Il s’agit du récit d’un homme. Il décrit, analyse, la rencontre entre deux êtres. Il les observe, les devine. La femme est là parce qu’elle a été payée pour faire l’amour. Lui, son partenaire, est un infirme de l’amour, victime de ce qu’elle appelle « la maladie de la mort », dans une totale incapacité d’aimer. Un texte d’une rare violence érotique, qui dit le désir, son attente et la jouissance inextinguible que procure un corps lorsqu’on le possède, jusqu’à l’abandon de soi-même. Un texte véritablement incantatoire dans lequel les mots ouvrent des plaies où se perd la raison. Gérard Desarthe fut le premier à en faire une lecture. Bob Wilson en donna une version scénique avec Michel Piccoli et la danseuse et chorégraphe Lucinda Childs.

CRITIQUE.  Fanny Ardant arrive sur scène venant d’une loge dont on aperçoit seulement quelques élémentsmarg1 de décor. Elle pénètre dans un espace vide, limité au fond par un mur couleur terre. Elle tient à la main un couteau. Pourquoi ? On se le demande. Ce qui manque d’emblée à cette représentation, c’est la présence sur scène d’une autre femme, celle qui vend son corps quelques nuits durant à un homme blessé. Cette absence affaiblit la puissance du texte et le ramène à un simple récitatif. Fanny Ardant l’interprète avec beaucoup de sensibilité, mais elle est trop proche d’une émotion, inexistante dans l’écriture de Marguerite Duras, qui ignore les sentiments, reste dans la description des faits et des détails. À l’écoute, il s’en dégage assez vite un certain ennui.

Je crois, qu'il n'y a pas d'autre "décor", que la lumière, pour La Maladie de la mort, ce texte, à part, dans l'oeuvre de Marguerite Duras, « ce récit en lui même suffisant, ce qui veut dire parfait, ce qui veut dire sans issue » - comme le dit si bien à son propos, Maurice Blanchot, dans La communauté des amants et que le décor, c'est le théâtre, ses murs nus, avec ses traces d'autres spectacles, qui me font rêver, à André Masson et Georges Bataille. Il y a les loges aussi, au fond, comme des chambres, - comme Ailleurs, comme Réel.

Et il y a le bord de scène comme abîme... Le spectateur peut tout imaginer dans un théâtre vide et nu, que c'est une chambre, un hôtel, un palais, une "zone", tout simplement, un théâtre. Elle, Fanny A, elle arrive, elle n'avoue pas, elle impose ce secret terrible et impudique, ce vous, qu'il faut souvent entendre, comme un toi. Ce serait beau d'arriver à faire un spectacle-indécent - en tous cas sur l'Indécence.

Bérangère Bonvoisin

« Vous dites que vous voulez essayer, essayer plusieurs jours peut-être.
Peut-être plusieurs semaines.
Peut-être même pendant toute votre vie.
Elle demande : Essayer quoi ?
Vous dites : D’aimer. »
Extrait de La Maladie de la mort

Quelle est cette voix qui raconte, qui s’adresse, impérative, à vous, à toi, à un homme qui, au conditionnel d’une histoire passée, aurait entrepris de savoir ? De savoir quoi ? Ce que seule l’expérience enseigne, celle de la vue, du toucher, de l’odeur du corps de la femme dans le bruit lointain de la mer. Mais aussi ce qui ne peut s’apprendre, ce qui s’accepte et se prend, ce qui se découvre dans la possession et surtout l’abandon : aimer.

Ils sont trois, comme toujours lorsqu’il s’agit d’amour chez Duras : l’homme qui cherche à aimer et paye une femme pour plusieurs nuits ; la jeune femme qui s’ouvre à lui, pour de l’argent mais aussi par plaisir de la jouissance, et parce qu’elle veut identifier cette maladie dont il est atteint et qui, en retour, ne la laisse pas indemne ; et une troisième personne, qui énonce le texte, qui raconte, en s’appropriant parfois la situation par l’emploi du « je » et qui regarde. Elle dit ce qu’elle sait, non pas de connaissance apprise, mais d’expérience vécue : elle est à distance, elle ne pleure pas comme l’homme, elle ne dort pas comme la jeune femme, mais elle les accompagne geste après caresse, question après réponse, au plus près de chacune de leurs sensations, au cour de sa jouissance à elle, de son envie de tuer à lui et de leur impuissance à se rejoindre : celle des hommes et des femmes, irrémédiablement séparés.

Qui est-elle cette troisième personne ? A la fin du livre, dans des indications pour une mise en scène qu’elle n’a jamais faite, Duras décrit un homme lisant le texte « soit arrêté, soit marchant autour de la jeune fille ». Michel Piccoli dans le spectacle de Bob Wilson, puis Gérard Desarthe ont lu La Maladie de la mort laissant intactes certaines possibilités du texte.

fanny_ardantLa troisième personne cherche, elle aussi, comme les deux autres, comme l’homme qui paye et la femme qui se livre. Elle cherche à entrer plus loin dans la connaissance, de cette maladie qui empêche d’aimer, de cette étrangeté profonde et de cet éloignement, de cette maladie de la mort atteignant certains êtres qui, dans le texte, ne sont que masculins. La voix du récit cherche à comprendre l’homme et c’est la femme qu’elle révèle, totalement, dans sa jouissance, dans les replis de son corps et de ses sensations, dans « la force invincible de sa faiblesse sans égale » et dans une façon d’être à l’écoute tout en se mettant à l’écart, dans le sommeil.

Dit par une femme profondément consciente du pouvoir de sa beauté - intérieure tout autant que physique - ce texte révèle une toute autre puissance : elle éprouve au plus profond d’elle-même ce que l’homme ne fait que pressentir. L’indécence s’accentue avec l’ampleur de la transgression, celle d’une femme disant en scène ce que la jouissance recèle en son secret et la mise en danger que le texte évoque sans cesse devient celle de l’actrice seule sur une scène dépouillée de tout sauf de sa présence.

La mer est noire. Le corps est blanc. Les extrêmes s’affrontent et même la lumière solaire reste sombre. La mort rend l’amour impossible. Un homme incapable d’aimer rencontre une femme qui ne peut être aimée. Et pourtant la rencontre se fait. Le texte s’écrit, se dit et les spectateurs l’entendent. Car au-delà des personnages, au-delà du vous, du toi, c’est à tous que la narratrice s’adresse, à nous tous, hommes et femmes, que l’amour ne cesse d’interroger et son manque de mettre en péril de mort.

Aliette Armel, écrivain, critique littéraire

Ensuite c'est presque l'aube. Ensuite il fait dans la chambre une sombre clarté de couleur indécise. Ensuite vous allumez des lampes pour la voir. Pour la voir elle. Pour voir ce que vous n'avez jamais connu, le sexe enfoui, voir cela qui engouffre et retient sans apparence de le faire, de le voir ainsi refermé sur son sommeil, dormant. Pour voir aussi les taches de rousseur répandues sur elle depuis la lisière des cheveux jusqu'à la naissance des seins, là où ils cèdent sous leur poids, accrochés aux charnières des bras, jusques aussi sur les paupières fermées et sur les lèvres entrouvertes et pâles. Vous vous dites : endroits du soleil de l'été, aux endroits ouverts, offerts à être vus.
Elle dort.
Vous éteignez les lampes.
Il fait presque clair.
La Maladie de la mort - éditions de Minuit

"...Vous dites que vous voulez essayer, essayer plusieurs jours peut-être. Peut-être plusieurs semaines. Peut-être même pendant toute votre vie. Elle demande : Essayer quoi ? Vous dites : D'aimer. ..."

Ils sont trois, comme toujours lorsqu’il s’agit d’amour chez Duras : l’homme qui cherche à aimer et paye une femme pour plusieurs nuits ; la jeune femme qui s’ouvre à lui, pour de l’argent mais aussi par plaisir de la jouissance, et parce qu’elle veut identifier cette maladie dont il est atteint et qui, en retour, ne la laisse pas indemne ; et une troisième personne, qui énonce le texte, qui raconte, en s’appropriant parfois la situation par l’emploi du « je » et qui regarde.
Elle dit ce qu’elle sait, non pas de connaissance apprise, mais d’expérience vécue : elle est à distance, elle ne pleure pas comme l’homme, elle ne dort pas comme la jeune femme, mais elle les accompagne geste après caresse, question après réponse, au plus près de chacune de leurs sensations, au cour de sa jouissance à elle, de son envie de tuer à lui et de leur impuissance à se rejoindre : celle des hommes et des femmes, irrémédiablement séparés.

La mer est noire. Le corps est blanc. Les extrêmes s’affrontent et même la lumière solaire reste sombre. La mort rend l’amour impossible. Un homme incapable d’aimer rencontre une femme qui ne peut être aimée. Et pourtant la rencontre se fait. Le texte s’écrit, se dit et les spectateurs l’entendent.
Car au-delà des personnages, au-delà du VOUS, du TOI, c’est à TOUS que la narratrice s’adresse, à nous tous, hommes et femmes, que l’amour ne cesse d’interroger et son manque de mettre en péril de mort.

dsc00108  dsc00111

Publicité
Commentaires
I
J'ai adoré l'interprétation de Fanny Ardant. Je suis retournée au théâtre 4 fois. Et à chaque fois, l'actrice dégageait un autre sentiment, une autre émotion. C'était très fort
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité