LES SERIES TELE
Commerce artistique ?
Depuis
'Dallas' et 'La Petite Maison dans la prairie', les producteurs n'ont
pas lésiné sur la création de nouvelles séries. La France et les
Etats-Unis leur réservent un traitement différent. Sont-elles
uniquement un business lucratif ? Peut-on y voir une dimension
artistique ? Evene propose une analyse du phénomène.
La France à la traîne
Depuis la fin des niaiseries d'AB productions qui ont fait les beaux jours de TF1 il y a dix ans, la France ne se distingue pas par sa grande créativité.
Si l'on essaye très souvent d'exploiter le genre, ce sont toujours les
mêmes ingrédients qui sont utilisés, laissant de côté l'innovation.
Néanmoins, certains succès surprennent et perdurent.
'Sous le soleil'
fait partie des séries à la longévité exceptionnelle. Celle qui était
comparée à 'Beverly Hills' à ses débuts a réussi à se démarquer par ses
décors naturels. Exportée dans plus de 80 pays, elle a déjà à son actif
plus de 234 épisodes. Divertissante, mais pour qui cherche de la profondeur : aussitôt regardée, aussitôt oubliée. Dans le même genre, la surprise de ces derniers mois a été provoquée par France 3. Par manque d'audience, 'Plus belle la Vie' a failli être arrêtée au début. Mais l'obstination de la chaîne a payé puisqu'à ce jour la série a atteint jusqu'à 5 millions de téléspectateurs et est même prévue en première partie de soirée !
La France a la particularité d'être spécialisée dans les séries policières : 'Julie Lescaut', 'Navarro' et tous leurs clones. Ici encore, on se contente d'appliquer inlassablement les mêmes règles pour écrire les scénarios.
Chaque série présente un héros très humain partagé entre ses fonctions
et sa vie personnelle. Les Français sont également friands des sagas de l'été.
Si depuis deux ans les scénarios ont quelque peu évolué en introduisant
une dimension fantastique, les mêmes ingrédients sont utilisés :
secrets de famille, trahisons, romance... Succès garanti, 'Dolmen' a obtenu la plus forte audience de 2005 avec en moyenne 12 millions de téléspectateurs et 50 % de part de marché ! 'Zodiaque 2' est même prévu pour l'été prochain.
Il semblerait qu'un effort soit produit puisqu'on assiste depuis quelques années à la création de nouvelles fictions. Ce sont les séries adaptées de la littérature ou "historiques" qui attirent.
Après 'Landru' et 'Les Misérables', 'Les Rois Maudits' fait un carton
avec plus de 8 millions de téléspectateurs devant leur écran, soit
environ 30 % de part d'audience. Des têtes d'affiches renommées comme
Gérard Depardieu et Jeanne Moreau rapprochent de plus en plus les
séries des productions cinématographiques.
Autre succès, initié par 'Un gars, une fille' : les formats courts.
Ce sont des séries de 7 minutes où se succèdent des sketches. 'Un gars,
une fille', tout droit venue du Canada et adaptée dans de nombreux
pays, a lancé la mode et a permis la déclinaison du concept. En ce
moment, 'Caméra café' a laissé la place à 'Kaamelot' sur M6. On peut
féliciter les scénaristes qui ont réussi le pari de divertir et de
faire rire les Français tous les soirs en si peu de temps.
Certaines
séries européennes comme 'Un, dos, tres' en Espagne et 'Absolutly
Fabulous' en Angleterre ont elles aussi eu un succès tel qu'elles ont
traversé les frontières, mais c'est aux Etats-Unis qu'il faut regarder
la télévision pour trouver les meilleures fictions.
L'hégémonie américaine... culturelle ?
Les années 1990 ont marqué un premier tournant dans l'histoire des séries en renouvelant chaque genre
avec 'Friends' pour l'humour, 'X-Files' pour le fantastique, 'Buffy
contre les vampires' pour le mélange des genres et 'Sex & the City'
pour le traitement osé du sexe. Les années 2000 ont tourné une
nouvelle page dans l'histoire des séries en les faisant passer du
statut de "sous-genre culturel" à celui de création artistique à part
entière.
Les séries dramatiques ont subi un véritable lifting,
dans le fond comme sur la forme. En effet, les Américains mettent à
présent l'accent sur l'originalité et l'anticonformisme. '24
heures chrono' est probablement la plus innovante : elle se déroule en
temps réel, provoquant un sentiment intense d'angoisse tant les
rebondissements de cette fiction sont surprenants.
Dans un autre registre, Teri Hatcher et ses'Desperate Housewives'
(récompensées par 6 Emmy Awards) situe toute l'action de cette fiction
dans la bourgade de Wisteria Lane, parodie explicite des banlieues
aisées américaines. On y trouve une représentation de la société américaine qui joue sur des clichés tout en y apportant de nombreuses nuances.
La critique acerbe et pleine d'humour propose une réflexion sur la
lutte du pouvoir entre les hommes et les femmes. Sont discutées, entre
autres, l'influence et la légitimité de la religion, la solitude, la
confiance et la profondeur des relations humaines.
Influences littéraires
Certains créateurs de séries revendiquent des inspirations littéraires.
Ainsi, J.J. Abrams, créateur de 'Felicity' et d''Alias', a parsemé
'Lost', son dernier succès, de références au roman 'Sa Majesté des
mouches' de William Golding. Même situation initiale, mêmes types de
personnages et une citation du roman établissent un parallèle
saisissant.
'Nip/Tuck' a reçu un excellent accueil de la
part des Français. Originellement programmée à minuit, le succès lui a
permis d'être diffusée en deuxième partie de soirée. Réflexion sur la
superficialité oscillant entre l'humour et l'émotion, 'Nip/Tuck'
reprend les ingrédients de base de toute série : des personnages beaux
et attachants dont le destin bascule à chaque retournement de
situation. Mais elle propose des univers sans cesse renouvelés et
imagine des personnages de plus en plus complexes. Subversive et à l'encontre des bonnes moeurs,
elle ne peut que rappeler l'atmosphère des romans de Bret Easton Ellis.
Les personnages, ambigus, n'ont rien à envier à Dorian Gray. Le
suicide, l'importance des apparences, les relations familiales, le
conformisme américain et le sexe y sont les thèmes abordés avec
finesse. Le traitement proposé est original et l'atmosphère choisie en
totale rupture avec ce qui s'est vu auparavant. Challenge réussi :
cette série est l'une des plus marquantes de ces dernières années.
Phénomène en série(s)
Il suffit de voir l'audience que certaines séries récoltent aux Etats-Unis pour imaginer leur impact : 51 millions d'Américains devant le dernier épisode de 'Friends' !
Véritable engouement à l'image du phénomène qu'a engendré la diffusion
de 'Lost' sur TF1. Les femmes de 'Desperate Housewives' sont sur les
traces des disparus puisque plus d'un quart des abonnés a suivi leurs
aventures, un record !
Business décliné sur papier
Un tel phénomène engendre nécessairement des retombées sur d'autres supports. Chaque série possède plusieurs guides
à l'usage de ses fans, qui donnent en général un descriptif de tous les
épisodes, des biographies d'acteurs, des anecdotes et secrets de
tournages, des analyses... Certaines font même l'objet d'adaptation en romans de poche,
telles que 'Alias' et 'Newport Beach'. Ainsi, suite au succès de
'Desperate Housewives', le guide de la série vient de paraître et une
adaptation est prévue par Fleuve Noir pour les mois à venir.
Aujourd'hui, les bandes dessinées
ont la cote : 'Les Experts', '24 heures chrono', 'Léa Parker'... Mais
l'intrigue et les graphismes sont d'une telle pauvreté qu'il est
difficile d'y voir plus qu'une opération commerciale fort lucrative. Et
le phénomène inverse se produit aussi : la bande dessinée 'Largo Winch'
est devenue une série.
Que ce soit sur papier, à la télé ou au ciné, il n'y a plus de limites à l'art... ou au commerce ?
La suite au prochain épisode ?
Dans le fond, les séries télévisées ne sont que l'évolution logique des
romans écrits au XIXe siècle par Gustave Flaubert ou Charles Dickens
qui publiaient (pour des raisons économiques également) leurs romans
chapitre après chapitre et faisaient évoluer l'intrigue sur des années,
laissant leurs lecteurs en haleine. Ils étaient d'ailleurs qualifiés de
"feuilletons", terme passé aujourd'hui dans le langage télévisuel...
De nos jours, certaines
séries sont de meilleure qualité que d'autres films, d'autant plus
qu'elles bénéficient d'une liberté de ton plus grande que les fictions
des salles obscures. Il y a tellement d'argent en jeu au cinéma
qu'on y prend de moins en moins de risques, alors que les chaînes
câblées américaines comme HBO n'hésitent pas à pousser la créativité à
son paroxysme.
A l'image de la société américaine, les séries sont
parfois très puritaines et conservatrices, comme le bon vieux 'Sept à
la maison' ou totalement provocantes, tel que le transcendant 'Six Feet
Under'. Dans ce cas, on peut même aller jusqu'à dire qu'elles ont un
temps d'avance sur la société. Des séries comme 'Queer as Folk' et plus
récemment 'The L Word' osent traiter ouvertement le thème de
l'homosexualité.
Sitcoms, soap operas, séries TV, sagas de
l'été, téléfilms proposent pléthore d'atmosphères, d'intrigues, de
dialogues et de personnages. Alors, pour tous ceux qui sont encore
dubitatifs, écoutez cet adage du kitchissime Ridge Forester de
l'immuable 'Amour, gloire et beauté' : il y a forcément une série qui,
quelque part, est faite pour vous. Trève de plaisanteries, qu'on se le
dise : l'art est plus présent dans le petit écran qu'il n'y paraît. Bienvenue à l'Art cathodique !
Jonathan Journiac pour Evene.fr - Novembre 2005